PASSE SANITAIRE EN ENTREPRISE : RAPPELS DES OBLIGATIONS ET GESTION DES SALARIÉS OPPOSÉS AU PASSE

Mis en place depuis le 1er juin 2021, puis étendu progressivement durant l’été dans la vie quotidienne de tout individu souhaitant bénéficier de certaines activités de services, de restaurations, de commerces ou de transport, le passe sanitaire est à l’heure actuelle présenté comme la principale solution pour endiguer l’épidémie de la Covid-19.

Le passe sanitaire a indirectement contribué à une augmentation significative du nombre de vaccinations et de tests à la Covid-19 sur les dernières semaines. Néanmoins, une partie des travailleurs soumise à l’obligation du passe sanitaire s’oppose à la vaccination, ce qui place employeurs et salariés concernés face à des situations inédites.

La loi sur la gestion de la crise sanitaire du 5 août 2021 et les décrets du 7 août 2021 ont prévus également l’obligation, depuis le 30 août 2021, de présentation du passe sanitaire pour les collaborateurs présents dans la majorité des lieux et activités recevant du public. Les employeurs concernés ont ainsi rapidement été investis d’une mission de contrôle des passes sanitaires de leurs clients ou usagers mais également de leurs salariés.

Quelles sont les difficultés rencontrées par les employeurs concernés par cette mesure ? Quelle est la limite du secret médical et quelle est la marge de manœuvre de l’employeur ? A quels risques les employeurs concernés sont-ils désormais exposés ?

Cet article a pour but de vous éclairer et répondre synthétiquement à ces questions.

Quels sont les lieux et secteurs ciblés par l’obligation de présentation de passe sanitaire ?

Le gouvernement est autorisé, pour le moment jusqu’au 15 novembre 2021, à subordonner par décret l’accès des personnes à certains lieux, établissements, services ou événements à la présentation d’un Passe sanitaire, et sans condition d’effectifs (sauf pour les séminaires professionnels), pour :

  • Les activités de loisirs, ne couvrant pas les activités politiques, syndicales ou liées aux cultes ;
  • Les activités de restauration commerciale ou de débit de boissons (à l’exception de la restauration collective, de la vente à emporter de plats préparés et de la restauration professionnelle routière et ferroviaire) ;
  • Les foires, séminaires ou salons professionnels ;
  • Sauf en cas d’urgence, les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux (pour les seules personnes accompagnantes ou rendant visite aux personnes accueillies dans ces services et établissements ainsi que celles qui y sont accueillies pour des soins programmés) ;
  • Les déplacements de longue distance par transports publics inter-régionaux (sauf en cas d’urgence faisant obstacle à l’obtention du justificatif requis)
  • Certains grands magasins et certains centres commerciaux (surface de 20 000 m²), sur décision motivée du préfet. A noter que le gouvernement a, dès le 8 septembre 2021, mis fin au passe sanitaire à l’entrée de nombreux centres commerciaux, dont ceux situés en Ile-de-France, estimant leur mise en place préjudiciable à la continuité économique de ces magasins.

Véritable outil du Ministère du travail depuis le début de la crise sanitaire, de nombreuses précisions sont apportées par un question/réponse dédié, publié le 9 août 2021 et fréquemment complété.

Celui-ci précise avec utilité que seuls les lieux d’accueil du public sont concernés : ainsi, tout bureau ou lieu de travail non ouvert au public ne sont donc pas concernés par cette obligation, tout comme les lieux accessibles au public en dehors des horaires d’ouverture au public.

Quels sont les salariés concernés par l’obligation du passe sanitaire ?

Depuis le 30 août 2021, sont concernés par l’obligation du passe sanitaire toute personne de 18 ans et plus, dont les salariés, qui interviennent dans les lieux précédemment cités, et ce sans conditions d’effectifs. A compter du 30 septembre 2021, les salariés mineurs seront aussi concernés.

Il est précisé que le personnel effectuant des livraisons/des travaux d’urgences et le conseiller extérieur du salarié ne sont pas soumis à l’obligation du Passe sanitaire.

Néanmoins, les bénévoles, les prestataires extérieurs mais aussi les intérimaires sont concernés. Dans ce dernier cas, c’est l’entreprise utilisatrice qui est visée par l’obligation qui devra vérifier la détention du Passe sanitaire.

Comment l’employeur peut-il contrôler le passe sanitaire du public ?

Les établissements concernés par le passe sanitaire doivent habiliter nommément les personnes et services autorisés à contrôler les justificatifs. Un registre devra ainsi détailler les personnes et services ainsi habilités et la date de leur habilitation, ainsi que les jours et horaires des contrôles effectués par ces personnes et services. La mise en place de ces formalités doit associer le CSE.

Il est nécessaire de respecter les dispositions du RGPD et de la CNIL lors de la remontée d’informations, à savoir l’interdiction de transmettre des listes de noms de personnes.

En pratique, le contrôle doit se faire par l’utilisation de l’application « TousAntiCovid Verif ». L’employeur ne peut toutefois pas imposer aux personnes chargées du contrôle d’utiliser leur téléphone personnel pour le faire, sauf accord entre les deux parties.

Un document doit donc être établi pour formaliser à la fois à l’accord du salarié sur l’utilisation de son téléphone portable, mais également pour tracer l’habilitation des collaborateurs concernés par la responsabilité du contrôle.

Comment l’employeur peut-il contrôler le passe sanitaire de ses salariés ?

Il incombe à l’employeur de contrôler la réalisation de ces tests. Il est évident que ce contrôle ne pourra être exécuté par la seule médecine du travail par manque de moyens humains. Il va donc incomber à l’employeur d’effectuer ce contrôle.

L’employeur concerné par l’obligation du contrôle du Passe sanitaire de ses salariés peut respecter son obligation en utilisant les formes autorisées (Application : Tous-Anti-Covid Vérif). L’employeur ne peut pas conserver le QR code mais uniquement le résultat de l’opération de vérification (validité ou non du passe). En effet, les informations collectées sont des données personnelles soumises au RGPD.

Dans les entreprises de plus de 50 salariés, le CSE doit être consulté sans délai, et être associé à la méthode de contrôle. L’avis du CSE peut intervenir après que l’employeur a mis en œuvre ces mesures, au plus tard un mois à compter de la communication des informations par l’employeur.

Etant donné l’impact sur l’organisation et la sécurité et la santé au travail, il est recommandé d’échanger utilement avec les représentants du personnel même pour les entreprises de moins de 50 salariés. L’impact de cette obligation peut effectivement emprunter plusieurs formes pouvant nécessiter l’accompagnement des représentants du personnel.

Jusqu’où peuvent aller les employeurs sur l’obligation de respecter les mesures sanitaires nationales (passe sanitaire, vaccination etc.) sans être accusés de harcèlement ? Jusqu’à quelle limite la communication employeur peut porter sans atteinte à la liberté d’opinion de ses salariés ? Le respect du secret médical, le respect des normes issues du RGPD et le respect du principe d’égalité de traitement entre les salariés seront ici à mesurer sur chaque action.

Il est à noter que l’administration précise qu’à l’exception des transports, les salariés détenteurs d’un passe sanitaire peuvent se dispenser du port du masque dans les lieux concernés par l’obligation depuis le 30 août 2021, sauf si le préfet ou l’employeur en dispose autrement. Il semble toutefois prématuré dans la plupart des cas de supprimer cette obligation des différents protocoles sanitaires d’entreprises ou d’associations, dans le cadre de l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur.

Par ailleurs, dans les cas où l’employeur n’est pas le responsable d’établissement et ne contrôle pas lui-même le collaborateur :

  • Le salarié qui ne pourrait pas accéder aux locaux pour non-présentation du passe doit en informer son employeur. L’employeur doit aborder avec les salariés les modalités de communication de ces informations afin que celle-ci puisse se faire de la manière la plus simple pour chacune des parties,
  • L’employeur devra être informé des modalités de restriction d’accès par le responsable de l’établissement d’intervention du salarié. Cette information devra permettre à l’employeur d’organiser l’activité du salarié.

En ce sens, les employeurs doivent d’autant plus communiquer sur les impacts des restrictions sanitaires dans leur organisation du travail, notamment en précisant les obligations d’information des collaborateurs pouvant être amenés à contrôler ou à être contrôlés pendant leur temps de travail.

N’oublions pas que des secteurs non soumis au passe sanitaire seront indirectement concernés. Se pose notamment l’interrogation de la gestion des grands déplacements des collaborateurs dans le cadre de leur mission, supposant restaurant, hôtel, train, avion qui nécessitent la détention d’un passe sanitaire pour le collaborateur.

La communication interne et externe, sur les obligations et modalités de contrôle de ce passe sanitaire, ainsi que la possibilité pour les collaborateurs de se faire vacciner sur le temps de travail, sera donc un indicateur essentiel pour l’entreprise en cas de litige.

Quelles sanctions à défaut de contrôle ?

Les commerçants et professionnels ne contrôlant pas le passe s’exposent à une amende de 1 000 €, à une mise en demeure et à une éventuelle fermeture temporaire de l’établissement, voire à une amende de 9 000€ et un an d’emprisonnement dans le cas d’une violation verbalisée à trois reprises dans une période de 30 jours.

Nous attirons toutefois votre attention sur la nécessité de parfaitement identifier l’application ou non de l’obligation de contrôle du passe sanitaire à votre activité. Il est tout à fait interdit pour un employeur non concerné par cette obligation d’imposer le passe sanitaire à ses collaborateurs alors que l’activité de son entreprise ne le justifie pas.

Pour exemple récent, la PME Bluelineal a récemment souhaité imposer à ses salariés la présentation d’un passe sanitaire pour qu’ils puissent continuer à pouvoir travailler à partir du 30 septembre alors que son activité n’est pas concernée par cette obligation. La Société a été rapidement rappelée à l’ordre par le Ministère du travail, précisant la peine pouvant être encourue : un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Quelles sont les conséquences pour les salariés refusant de se soumettre au passe sanitaire ?

Le salarié qui refuse de se faire vacciner devra réaliser un test PCR ou antigénique toutes les 72 heures. Les autotests effectués sous la supervision d’un professionnel de santé sont également admis et sont valides 72 heures.

Cette solution pose toutefois poser question sur le long terme, étant donné qu’à partir du 15 octobre prochain, les tests PCR et antigénique ne seront plus systématiquement remboursés par la sécurité sociale. Si l’employeur envisage une prise en charge de ces tests, comment sera traité cette décision ? Un avantage en nature soumis à charges sociales devra-t-il être caractérisé étant donné la possibilité pour le salarié de profiter des résultats de ce test dans le cadre personnel ? Nous attendons une précision de l’administration, qui sera peut-être apportée en temps voulu.

Il est indéniable que cette charge de travail supplémentaire pour les Directions de Ressources Humaines risque d’être très complexe et lourde dans sa mise en œuvre. L’impact de la gestion de cette obligation sur le climat social, pouvant devenir un sujet de tensions ou d’opposition supplémentaire au sein de l’organisation de travail, est également à prendre en compte.

Le salarié qui refuse d’être vacciné, ne présentant pas de certificat de rétablissement de contamination à la Covid-19 ou de contre-indication médicale spécifique, et refusant également les tests peut se mettre d’accord avec l’employeur pour poser des jours de congés ou de repos en attendant la fin de la crise sanitaire. Si le salarié refuse toutes ces alternatives, il est prévu que l’employeur doit lui notifier la suspension de son contrat sans rémunération.

Au bout de 3 jours l’employeur convoque ainsi le salarié à un entretien afin d’examiner avec lui les moyens de régulariser la situation en envisageant les possibilités d’une nouvelle affectation temporaire sur un autre poste sans contact avec le public. Si aucune autre affectation n’est possible, le contrat de travail reste suspendu sans rémunération.

Le ministère du travail précise que « même s’il ne s’agit pas d’une obligation, tout doit être mis en œuvre pour régulariser la situation et, en cas de contentieux, la recherche d’affectation sera un des éléments que le juge pourra prendre en compte ».

Pour rappel, la procédure de licenciement pour le motif d’absence prolongée de Passe sanitaire a été supprimée de la loi. Le Ministère mentionne toutefois dans son question/réponse qu’« à l’issue et dans le cas d’une situation de blocage persistante, les procédures de droit commun concernant les contrats de travail peuvent s’appliquer ».

Cette précision désigne indirectement l’éventuelle solution d’une sortie du salarié par la procédure de licenciement pour cause réelle et sérieuse d’absence prolongée désorganisant le bon fonctionnement de l’entreprise. Néanmoins, étant donné la période pour le moment limitée de l’application du Passe sanitaire, auxquelles s’ajoutent les obligations liées à la recherche de reclassement, dont les portées ne sont pas encore aujourd’hui définies, cette solution semble risquée et déconseillée. Ce licenciement suppose de respecter l’éventuelle garantie d’emploi conventionnelle, de pouvoir prouver l’impossibilité de la solution temporaire de remplacement et de recruter en CDI sur le poste concerné. A noter que la justification d’une réelle désorganisation de l’entreprise sera très probablement contestée au vu du caractère, à ce jour, temporaire de l’obligation du Passe sanitaire.

Point sur la vaccination obligatoire

Depuis le 15 septembre 2021, les salariés travaillant dans le domaine de la santé (établissements définis à l’article 12 de la loi du 6 août 2021), quelles que soient leurs fonctions, doivent être vaccinés contre la Covid-19. Par dérogation, ces salariés peuvent continuer à travailler jusqu’au 15 octobre 2021 s’ils justifient avoir reçu une dose de vaccin et produit un test de dépistage négatif.

Le personnel concerné qui ne produit pas les justificatifs nécessaires ne pourra plus continuer à exercer son activité et risque la même sanction que les salariés soumis à l’obligation de présentation du passe sanitaire : suspension du contrat de travail et arrêt de leur rémunération, suspension prenant fin dès que le salarié remplit ses obligations.

Les employeurs et les RH sont amenés à gérer ces situations complexes et inédites, également dans les secteurs non soumis au passe sanitaire.

Des questions encore sans réponses en lien avec ces nouvelles obligations subsistent : les impacts de ces mesures entrainent-ils une mise à jour du document unique d’évaluation des risques ? Jusqu’où s’étend l’obligation de reclassement en cas d’absence de passe sanitaire ou de vaccination des collaborateurs concernés ? Les services de l’administration feront-ils preuve d’indulgence sur les potentiels écarts liés au secret médical et au RGPD, toujours délicats à appréhender dans un contexte sanitaire particulier ? L’avenir nous en dira plus.

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